Place Sébastopol de Christian FINAUD Senior
La Place Sébastopol à Marseille (4ème arrondissement)
Pourquoi la Place créée en 1863 à Marseille fut-elle dénommée « de Sébastopol » ?
par Christian FINAUD
Honorer la victoire de Sébastopol
Il est de notoriété historique que l’Empereur Napoléon III avait beaucoup d’estime et
d’attachement à l’égard de Marseille, attachement que le peuple marseillais dans sa majorité
ne lui rendait guère. Mais les Maires qui ont dirigé la Ville durant le Second Empire (de
Chanterac, Honnorat, Onfroy, Rouvière, Roussier et Bernex), ainsi que la plupart des
membres du Conseil municipal, étaient bien obligés de tenir compte du gouvernement et des
préfets. Il leur était aisé de flatter le Souverain, surtout si cela ne leur coûtait guère, comme de
donner aux rues et avenues le nom des victoires impériales.
En 1853, le tsar Nicolas Ier, traitant l’empire Ottoman d’« homme malade de l’Europe »,
voulut envahir la Bulgarie et la Turquie occidentale jusqu’aux détroits de Constantinople.
Evidemment, la Grande-Bretagne, jalouse de sa primauté maritime en Méditerranée, et
Napoléon III, prétextant la défense des Lieux Saints par les catholiques contre les orthodoxes,
déclarèrent ensemble la guerre à la Russie le 25 mars 1854. Plus de 75 000 hommes, avec
armes, bagages et chevaux, furent embarqués à Toulon et Marseille vers la mer Noire (au
grand contentement des professionnels du port et de la population !).
Mais cette guerre de Crimée ne fut pas une simple expédition des Anglo-Français contre des
Russes bien armés, très combatifs et protégés dans le port fortifié de Sébastopol. Le siège de
cette ville, commencé le 14 mars 1854, devait durer plus d’un an, avec de fortes pertes des
assaillants, affaiblis aussi par le typhus et le manque de ravitaillement. Enfin le 8 septembre
1855, Mac-Mahon (« J’y suis, j’y reste ») et le général Pélissier prennent la fameuse tour de
Malakoff, dont la chute précipite sinon la conquête de la ville, du moins le départ des Russes,
qui l’incendient. Malgré tout, la victoire restait aux Alliés.
Le début du siège de Sébastopol (gravure de Thomas Packer, 1854)
Autre satisfaction pour Napoléon III et la fierté française, le traité de paix fut signé à Paris le
30 mai 1856. Ainsi était rachetée la défaite de Waterloo et 1815. Le neveu vengeait l’honneur
de l’oncle, et en tirait un important prestige auprès des Français. C’est pourquoi, en août
1864, les Marseillais voulurent-ils rendre hommage à l’impérial vainqueur, et appelèrent-ils
« de Sébastopol » la grand-rue nouvelle allant du boulevard Chave à celui de la Madeleine et
la place sise en son centre. Cette dénomination doit correspondre à quelque orgueil inavoué
des Marseillais pour les victoires militaires : elle ne fut pas modifiée au cours des trois
républiques suivantes…
Au cours de la guerre de Crimée est apparu un nom qui devait frapper l’attention des habitants
du quartier Sébastopol : celui du général Bosquet, dont une rue voisine de la place Sébastopol
a reçu la dénomination. Pierre Bosquet (1810-18619, général français, s’empara le 7 juin 1855
du fameux « Mamelon vert » à Sébastopol, ce qui permit la prise de Malakoff par Mac-
Mahon et Pélissier. Il fut fait Maréchal de France et Sénateur en 1856.
Comment est née la place Sébastopol ?
Dès 1804, la ville de Marseille, en plein essor, se développe au-delà de ses remparts vers l’est.
Les frères André et Nicolas Chave, ainsi que les familles Terrusse et Mérentié, propriétaires
de vastes terrains ruraux sur le versant est du plateau Saint-Michel (« la Plaine »), se firent
promoteurs immobiliers du quartier du Camas et créèrent entre 1830 et 1848 le boulevard
Chave en direction de la rivière du Jarret, boulevard prolongé par M. Bagarry en 1854. La
prison Chave fut édifiée en 1852.
De son côté, l’extraordinaire bâtisseur pour l’enfance malheureuse, le RP Fissiaux, avait
acquis un domaine de 10 hectares entre l’extrémité du nouveau chemin de la Madeleine
(l’actuel boulevard de la Libération) et le chemin du Camas au Jarret (actuelles rues Monte-
Christo et des Orgues) pour fonder le pénitencier Saint-Pierre-les-Liens en vue de rééduquer
de jeunes délinquants. En 1861, il désira ouvrir une voie transversale et eut maints démêlés
avec la municipalité, mais il tint bon et, sans la niveler, créa l’actuelle rue Marx-Dormoy.
Naturellement, naquit ainsi l’idée d’un trait d’union entre ces deux centres d’intérêt.
La Ville réalisa une rue parallèle à la prison Chave perpendiculaire au boulevard Chave, en
direction de celle ouverte par le père Fissiaux, afin de les raccorder en une grand-rue
continue. Mais sur le projet topographique, on s’aperçut que ces deux voies allaient se
rencontrer, de manière fâcheuse, en un angle obtus cassant la perspective, ce qui souleva la
farouche opposition des riverains, surtout M. George. Sur rapport d’une commission spéciale
dirigée par M. Falque, il fut alors imaginé de créer à l’intersection des deux rues un vaste
quadrilatère formant une place située dans l’axe de la rue de la Prison et raccordée à son angle
nord à celle de Fissiaux. Cette nouvelle disposition urbanistique ne laisserait ainsi plus rien à
désirer à la régularité des lignes et à l’harmonie des lieux. Telle fut la délibération en date du
21 août 1863 du Conseil municipal, présidé par le Maire, M. Rouvière, dont les motifs sont
remarquables. Il y est notamment déclaré (leçon que devraient retenir nos élus actuels !) :
« Quant aux avantages que procurerait, au point de vue des intérêts généraux, la création de
cette place, il serait superflu de les faire ressortir. Il n’est personne qui ne regrette l’absence
ou l’insuffisance de places actuellement existantes soit à l’intérieur de la ville, soit dans les
quartiers nouveaux qui se sont formés aux extrémités. Partout les espaces manquent pour
établir des halles et des marchés qui seraient si utiles à la population… Il est donc sage
prévoyance de préparer l’avenir… »
En emprise aux deux tiers sur la propriété George et un tiers sur celle de Granoux, fut délimité
un vaste rectangle d’environ 100 m sur 56 m (surface cadastrale : 5 890 m2). Ainsi naquit la
place qu’on dénomma « de Sébastopol ».
La Place Sébastopol (Editions Gabriel)